Sumimasen, sumimasen – Expats au Japon depuis 497 jours
Sumimasen, sumimasen
On avait déjà parlé du « mot d’excuse » que les salariés obtiennent de Japan Railways lorsque les trains ont du retard à l’heure de pointe [ici]. Oui, la manière de s’excuser, en paroles comme en gestes, est poussée à un haut degré de sophistication au Japon. Dans l’inconscient collectif nippon, il en va de l’équilibre du monde, de l’harmonie entre les êtres.
Le plus courant, celui que les touristes reconnaissent vite lors d’un séjour à Tokyo, est bien sûr « sumimasen », équivalent de notre « oh ! pardon » ou « excusez-moi ». Néanmoins, il s’invite dans des situations parfois dénuées de toute faute à effacer : au lieu du vibrant cri de bienvenue dans un magasin « irasshaimase » (insister longuement sur le « é » final), le « sumimasen » est une invitation plus discrète équivalente au « que puis-je pour vous », teinté d’une demande d’excuse par anticipation à quelque service qu’on ne va peut-être pas pouvoir nous rendre ; une jeune femme m’a accueilli par « sumimasen » quand j’entrais juste dans un restaurant rapide pour y… jeter un papier dans la poubelle (il n’y a guère de poubelles dans les rues de Tokyo, on se débrouille comme on peut). « Sumimasen » en se précipitant à petits pas est un signe de déférence. « Sumimasen » en tenant la porte de l’ascenseur est un encouragement : « après vous, je n’en ferais rien, vous croyez, mais si, je vous en prie ». « Sumimasen » est un remerciement, parce qu’on ne débarrasse jamais assez vite l’invité de son cadeau.
Mais cela serait trop simple s’il suffisait d’asséner un sumimasen à tout bout de champ pour être bien poli, bien respectueux envers nos hôtes nippons. La langue regorge d’expressions plus recherchées et adaptées à chaque situation de compromis, de justification.
« Sumimasen » relève plus de la politesse sans s’excuser profondément. Si une réelle erreur est commise, on passe au « Gomen nasai », en cas par exemple de retard prolongé, d’oubli dans le rendu de la monnaie, etc. C’est également le mot que les enfants doivent utiliser envers les adultes, nous rappelait Yuko la semaine dernière.
L’interruption, l’irruption, ont également leur forme d’intervention polie : je dis « shitsure shimasu » lorsque je vais déranger un collègue japonais à son bureau. Il me le rend d’ailleurs inconsciemment en anglais quand il rentre dans mon bureau avec un « may I interrupt you ? » (« you » étant trop direct pour être japonais, il dira plutôt « may I interrupt ? »).
Maintenant que vous êtes rôdés, vous pouvez imaginer que le refus est cornélien, la manière de s’excuser de ne pouvoir accepter une invitation est donc plus complexe : « Zannen desu ga, tsugô ga warui desu » : « je suis désolé, mais ma condition (ou peut-être les conditions de l’univers, la conjonction des planètes, je ne suis pas sûr) n’est pas bonne ». Ou bien si l’offre vient d’une personne inférieure socialement, un vendeur par exemple, une petite excuse comme « chotto » suffira : littéralement « un peu », ellipse pour « cela m’est un peu difficile (d’acheter votre pull à cent euros, par exemple) », ou bien « kekkô desu » similaire à notre « c’est bon, tout va bien, merci ».
Bref, en un mot comme en cent, la forme, le rituel de l’excuse est plus important que le fond.
Comme on lisait sur l’excellent « mémo de sécurité » envoyé par l’APE (une association de parents d'élèves), « comprendre le « shazai », l’art de s’excuser, est donc primordial pour vivre en harmonie avec les Japonais ». Le bel exemple qu’il contenait résume bien cette recherche permanente d’équilibre entre l’excuseur et l’excusé : « pensez au chauffeur de taxi qui ramène chez vous le sac que vous avez oublié dans sa voiture et qui s’excuse mille fois d’avoir négligé de regarder lors de votre descente si vous aviez oublié quelque chose ».
Illustration : Extrait du livre "Korea unmasked" de Won-bok Rhie
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