Poésie du rail, du côté de la montagne – Expats au Japon depuis 426 jours
Poésie du rail, du côté de la montagne
Ah ! La ligne de chemin de fer circulaire qui tourne autour du centre de Tokyo en un joli ovale vert clair sur les cartes du réseau au-dessus des machines à billets. Ah ! La Yamanote line, ses vingt-neuf stations et ses quatre millions de passagers par jour : elle peut être le symbole du cauchemar urbain tokyoïte, avec les pousseurs en gants blancs et la buée sortant des naseaux des passagers écrasés aux fenêtres (dixit Henri). Mais ce cauchemar ne survient qu’à certaines stations, certains jours, surtout lorsqu’un improbable grain de sable enraye la merveilleuse machine des trains qui se suivent à deux minutes aux heures de pointe.
Une autre manière de voir la Yamanote, c’est de s’absorber dans la contemplation des kanjis des gares qui défilent, c’est de se laisser bercer par leur poésie toponymique. Commençons par « Yamanote » : c’est littéralement « la main de la montagne », mais le nom désigne en fait le piémont, le plateau « du côté de la montagne », sur lequel s’est bâti la « ville haute » de l’ancienne Edo.
En suivant l’itinéraire matinal qui m’emmène au bureau, je vais tenter quelques approximations de traduction, aidé par Larry qui nous avait déjà initiés aux kanjis complexes. Exégètes de la langue de Mishima, amis de la poésie, n’hésitez pas à proposer mieux dans un commentaire, mais habituellement Larry assure son cachou en japonais. Ce qui m’a frappé dans ses traductions, c’est l’origine rurale de ces noms, leurs saveurs d’avant la mégalopole. Cela m’a rappelé les cartes postales que nous envoyions du Québec en citant uniquement les noms des villages que nous traversions ; Port-au persil, l’île aux Coudres, Rivière-du-Loup ou Cap-chat : c’est un voyage immobile que de lire une carte de la belle Province.
Nous habitons dans le quartier d’Iidabashi. La gare se situe sur la « Sobu line » qui coupe l’ovale vert de la Yamanote d’un joli trait de plume jaune (et orange, pour la ligne Chuo qui emprunte les mêmes voies). Je pars vers l’ouest pour rejoindre la Yamanote à Yoyogi ; après un changement d’une minute sur le même quai, je repars vers le sud pour arriver à Osaki ou je travaille.
Iidabashi, c’est le pont sur la rizière ; j’ai bien tenté de trouver à un à-peu-près du style « le pont de la rizière kawaii » (mignonne, en japonais), mais bon, c’était tiré par les cheveux ! Les gares de la ligne Sobu s’égrènent : Ichigaya, la vallée qui mène au marché ; Yotsuya, les quatre vallées ; Shinanomachi, le village de Shinano (il faudrait trouver à qui, à quoi se rapporte ce nom propre) ; Sendagaya, la vallée aux mille « quelque chose ayant rapport avec les chevaux », me dit Larry, l’air penaud de ne pas connaître ce kanji inhabituel ; enfin Yoyogi, des générations d’arbres ou des arbres centenaires. Sur la Yamanote, le train arrive de Shinjuku, la nouvelle auberge. Puis l’on passe successivement : Harajuku, l’auberge près du champ ; Shibuya, amère vallée (le plus drôle quand on connaît le carrefour fou de Shibuya, c’est que le kanji peut se lire « la vallée encombrée, embouteillée ») ; Ebisu, le nom d’un sympathique dieu-pêcheur de la mythologie nippone ; Meguro, un œil noir vous regarde ; Gotanda, la rizière aux cinq tissus ; et enfin, Osaki, grand cap ou cap-long, que dis-je un cap, c’est une péninsule, va pour la grande péninsule, alors. Cet endroit devait il y a longtemps être la dernière terre ferme avant les marais et la baie d’Edo.
Le métro de Tokyo a aussi des stations avec de jolis noms. Mais il a également une campagne "de bonnes manières" beaucoup plus terre-à-terre, avec des affiches demandant de ne pas se maquiller, de ne pas encombrer la rame avec un gros sac à dos, de ne pas téléphoner (les transports en commun, dernier sanctuaire de calme dans cette capitale surbruyante ?) ou de ne pas jouer au golf avec les boules de neige. Amis de la poésie, bonsoir !
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