C’est énorme ! – Expats au Japon depuis 112 jours
C’est énorme !
Evidemment, pour son premier tournoi de sumo, on peut jouer avec les mots… pour masquer son ignorance crasse des règles, pratiques, us et coutumes du sport national nippon. C’est donc un tournoi XXL, où s’affrontent des poids lourds toutes catégories (oui, un sumotori un peu léger peut se retrouver avec un mastard de deux fois son poids en face de lui).
Un des six tournois majeurs qui rythment l’année du sumo au Japon, comme les quatre du Grand Chelem sauf qu’ici la surface est toujours en terre battue, ramenée à grands frais d’un cours d’eau sacré du nord du pays (qui malheureusement a tendance à s’assécher, nous explique Sandra, notre excellente « passeuse » de l’AFJ). Un tournoi dure quinze jours, durant lequel chaque lutteur affronte un adversaire par jour, le gagnant recevant une coupe qui pèse paraît-il cent kilos ! Les têtes de série ont ici de jolis titres en fonction de leur rang : dans la première division vont donc s’affronter 32 maku-uchis, depuis les simples maegashiras jusqu’aux demi-dieux, les yokozunas. On comprend mieux en visitant le petit musée du Palais Sumo-sport de Tokyo-Bercy (même forme octogonale, sans les pentes gazonnées) : depuis trois siècles, on ne compte que soixante-huit yokozunas. Et on en verra deux aujourd’hui – c’est dire l’importance de ce tournoi – dont le numéro un nippon, donc mondial, l’ami Asasyoryu !
Parmi ces lutteurs aux noms tous plus japonais les uns que les autres se sont glissés quelques intrus : russe, estonien, bulgare (mon préféré, Kotooshu, mais qui a perdu aujourd’hui)… C’est triché, ils ont pris un nom nippon, on ne les reconnaît qu’à la blancheur et la pilosité de leur corps ; mais c’est encore plus dur quand on annonce sur notre petite radio FM – louée sur place avec commentaires en anglais siouplé – un combat titanesque entre un Sud-coréen et un Mongol, impossibles à distinguer l’un de l’autre.
La journée est organisée comme une lente progression vers les combats les plus énormes, entre les lutteurs les plus adulés. C’est pourquoi les gradins se remplissent progressivement, coussins par terre sans doute hors de prix dans de minuscules loges pour quatre au rez-de-combat ou fauteuils classiques pour nous, dieu merci, à l’étage. Les écuries de lutteurs offrent à leurs tendres pousses les premières heures de la journée pour s’étriper en accéléré, cinq secondes de préparation max !, devant quelques spectateurs qui mangent et boivent du thé plus qu’ils ne les regardent. Mais le stade est comble lorsque défilent vers seize heures les têtes de séries, ceints de leurs lourds pagnes de cérémonie cousus de fils d’or (trente kilos, ceinture comprise).
Un combat : les deux mastodontes s’observent face à face, puis s’ignorent en abandonnant le cercle pour mieux se concentrer en se frappant le visage ou l’abdomen. L’arbitre principal monte sur l’arène en habit de lumière, tandis que les quatre autres assis en contrebas du tertre sont en noir ; les ramasseurs de balle de Bercy sont remplacés ici par des balayeurs qui époussettent le haut des sacs de riz délimitant la zone de combat. Les lutteurs se figent enfin en position accroupie, la foule retient son souffle, l’arbitre marmonne un mantra.
Enfin le deux quintaux se lancent l’un contre l’autre, le combat ne dure souvent que quelques secondes, un des deux taureaux est bouté hors du tertre, parfois s’affale sur un des hommes en noir (ici aussi, le métier d’arbitre est dangereux), ou bien touche terre dans l’arène, surpris par une des quatre-vingt-deux techniques recensées par l’académie. Si les deux forces terribles s’annihilent quelques minutes, on est surpris, le temps se suspend, on se demande ce qui peut débloquer cette formidable pyramide de chair, on se souvient que le plus long combat de l’histoire a duré six minutes et demie. Mais un des lutteurs l’emporte bientôt sous les rugissements du public.
Nous finissons cette belle journée par le restaurant d’un ancien champion de sumo. La nourriture est forcément roborative, une bonne grosse sousoupe de légumes, fruits de mer, poisson, viande et lard fumé, mijotant dans un bouillon auquel on ajoute des pâtes ou du riz en guise de dessert. Mais le plus intéressant est l’apparition d’un bel homme élégant, portant beau sa quarantaine : c’est M. Kirishima, notre ancien sumotori. Méconnaissable, il a perdu trente ou quarante kilos depuis ses années de gloire, dont les meilleurs moments tournent en boucle sur l’écran plat au fond la salle. Notre groupe de Français se précipite pour lui faire signer un autographe ou se faire prendre en photo avec la légende vivante. Oui, il y a une vie après le sumo !
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