Les passeurs de l’île – Expats au Japon depuis 266 jours
Les passeurs de l’île
Le Japon est une île. Son insularité la définit, elle façonne la mentalité de ses habitants. Son histoire, alternance d’ouverture et de fermeture au monde, résonne dans les élans et les retenues des Japonais envers l’étranger. Pour trouver le Japon, y construire son identité de résident temporaire, on se rend compte qu’il est délicat d’en demander, d’en espérer trop des Japonais que nous fréquentons au quotidien. Il faut alors des passeurs, des traducteurs, des translateurs, comme écrivait Barthes en évoquant les baguettes qui translatent les aliments vers la bouche (cf. le post du 25 mai). Comme s’ils menaient la barque qui accoste sur l’île, comme s’ils nous amenaient le Japon à la bouche, nos passeurs à nous sont multiples, il était temps de leur dire un grand merci.
Certains passeurs sont eux-mêmes Japonais, le plus souvent des artistes passionnés par leur art (l’expo actuelle du musée Guimet parle de Hokusai comme d’un « affolé de son art ») : on reviendra bientôt sur les auteurs de mangas et d’ « animés », mais rappelons-nous le choc du « Voyage de Chihiro » de Miyazaki ; on listera un jour nos films japonais préférés, mais on sait déjà que les samouraïs vont toujours par sept depuis Kurosawa ; on attendra de devenir un expert en estampes pour décrire le « monde flottant », mais tout a commencé par la fameuse grande vague de Hokusai au détour d’une conférence sur l’art organisée par le C.E. de mon ancienne boîte !
Nous fréquentons d’autres passeurs au quotidien. Mes collègues français ou américains m’indiquent les meilleurs restos japonais de Tokyo, me recommandent la tournée de Kodo et ses taikos magiques (cf. post précédent), pointent le bouquin japonais incontournable (on reviendra sur « La Pierre et le Sabre » une autre fois). Merci à eux. Delphine rencontre les femmes de l’ALF et l’AFJ qui nous emmènent découvrir un fameux tournoi de sumo, la font danser comme une vraie japonaise, l’initient à l’ikebana, l’invitent à visiter une usine Shiseido. Merci à elles.
Enfin, des artistes européens, amoureux du Japon, nous transmettent leur passion.
Quoi qu'on pense des exagérations de « Stupeur et Tremblements », Amélie Nothomb retranscrit ses expériences, ses émotions, ses folies japonaises avec une exubérance communicative. Par hasard, j’ai lu les bouquins où elle a parsemé ses souvenirs nippons dans l’ordre inversement chronologique, comme une rétro-biographie d’amoureuse du Japon. Depuis « Stupeur… » et « Ni d’Eve ni d’Adam » (cf. un post précédent) jusqu’au retour en enfance de « Biographie de la Faim » et le déchirement de quitter le Kansai ; pour finir/revenir à l’état fœtal de « Métaphysique des Tubes » et le vrai-faux suicide dans le bassin aux carpes. Je ne peux plus regarder une carpe koi dans un bassin japonais sans penser aux gouffres béants de leurs bouches abhorrés par Amélie.
Quoi qu’en disent certains, comment ne pas adorer Tokyo quand on revoit « Lost in Translation » après un verre au Park Hyatt de Shinjuku, un karaoké entre collègues ou un jetlag tenace de retour de Paris. Ne manquent plus qu’une Scarlett Johansson en perruque rose ou un Bill Murray en smoking avec des pinces dans le dos qui murmure « for relaxing times, make it Suntory time ».
Quoi que le fil qui le relie au Japon soit un peu plus ténu, comment ne pas ne plonger avec délices dans « l’Elégance du Hérisson » de Muriel Barbery : une petite fille surdouée écrit des haikus inspirés de Basho (« Hutte de pêcheurs / Mêlés aux crevettes / Des grillons ! ») en en-tête de ses pensées profondes, et une concierge s’extasie sur le temple de la Mousse dans le film « les Sœurs Munakata » d’Ozu, avant de tomber sous le charme d’un Japonais distingué qui lui fait découvrir « le meilleur de la cuisine japonaise à Paris » lors d’une « orgie de sushis » mémorable.
Tiens, trois passeuses féminines, Amélie, Sofia et Muriel. Qui a dit que le Japon était un pays d’hommes ? Merci à toutes les trois, et à ceux qui nous ont passé les passeuses : Philippe, David, Arnaud, Maylis, et j’en passe.
Photos : kininarulove.ameblo.jp et www.imdb.com
Libellés : Livres et films sur le Japon
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