La Ferrari des sushi – Expats au Japon depuis 561 jours
La Ferrari des sushi
Loin des piles d’assiettes à cent soixante yens des kaiten sushi, les sushi-bars tournants de n’importe quel recoin de Tokyo, nous voici ce soir dans un lieu secret. Presque sacré. Un des fameux « sushi-bars » de Ginza pour amateurs éclairés, un de ceux qui ont obtenu la récompense suprême de recevoir les trois étoiles du guide Michelin de Tokyo. Nous allons découvrir l'un de ces établissements de poche au comptoir en bois Ikéa et aux toilettes sur le palier qui ont déclenché une polémique l’an dernier en étant projetés dans la catégorie des Michel Bras, Joël Robuchon et autres Alain Ducasse.
Le maître des sushi officie derrière son comptoir : il tranche le poisson, malaxe le riz, enveloppe le tout de feuilles d’algues craquantes. Il inspire le respect. Quelques bières et ume-shu (alcool de prune) plus tard, Eric, Eva, Cyrille, Elena, Delphine et moi poussons l’audace jusqu’à entamer la conversation ! Enfin plus exactement, nous ânonnons quelques mots sans suite, histoire de le faire rigoler, lui et les trois seuls autres clients japonais assis au comptoir avec nous. En fait, on essaie de lui traduire ce que le Michelin a publié comme étant la citation de maître Mizutani : « lorsque vous avez coupé des millions de poissons dans votre vie, vous finissez par savoir couper sans regarder. Mon couteau est l’extension de ma main, je sens le poisson au bout de mon doigt. Les poissons sont frais, cela est évident. Ce qui l’est moins, c’est de savoir choisir le poisson de telle baie, à telle semaine de tel mois. Car le poisson migre. Il est différent tous les jours. Je ne peux pas laisser ce travail à mes apprentis. Il faut des décennies d’expérience à voir, palper, caresser le poisson tous les jours. »
Effectivement, derrière le maître aux deux longs couteaux à la place des mains, l’apprenti ne moufte pas. Il tranche lui aussi les noix de Saint-Jacques, les crevettes avec leurs œufs à l’intérieur, les oursins délicats, mais il ne cause pas aux clients. Bizarrement, pas de saumon parmi la vingtaine de sushis et sashimis dont nous nous délecterons ce soir. En revanche, le thon est le poisson-roi : différentes parties de la bête nous sont proposées, des flancs (shutoro ?) doux et savoureux au ventre (o-toro) gras et fondant. Nous voici au point d’orgue du repas, au summum de la qualité trois étoiles. Normal : l’énorme bestiole de plusieurs centaines de kilos s’achète au marché de Tsukiji pour le prix d’une… Ferrari ! Les grossistes réserveront ensuite les parties les plus délicates des thons les plus beaux aux maîtres sushi de Ginza.
Il est vingt-et-une heures, nous remercions le sensei, nous avons la peau du ventre bien tendue et nos portefeuilles sont délestés de quelques billets.
Libellés : Culture et traditions, Tokyo
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