Tentative de Lagarde et Michard nippon : Mishima et Fukazawa – Expats au Japon depuis 548 jours
Tentative de Lagarde et Michard nippon : Mishima et Fukazawa
Bon anniversaire à Joshua, huit ans il y a deux semaines, et à Louise, douze ans aujourd’hui !
Quand vous serez en seconde ou en première, aurez-vous droit vous aussi aux Lagarde et Michard pour bûcher vos textes de français ? Ferez-vous avec Pascal « le pari que Dieu existe » ? Etudierez-vous l’amitié entre Montaigne et La Boétie et « que philosopher, c’est apprendre à mourir » ?
Quant à moi, j’ai révisé quelques grands classiques du Lagarde et Michard nippon.
Je n’ai pas totalement été touché par la grâce censée émaner des nouvelles de Yukio Mishima, le poète des adolescents aux désirs troubles, qui se donna la mort par seppuku (hara-kiri) habillé en tenue nationaliste en 1970. Dans la collection « Folio 2€ » ont été regroupées « Ken » et « Martyre ». Le style est impérial, avec des fulgurances et des raccourcis qui forcent l’admiration : « un pigeon tâché de sang, des rayons de soleil perçant la frondaison, du sang tombé sur les joues du vainqueur, l’indigo profond de la tenue de kendo, le lys flétri, tout cela s’était en effet combiné en autant d’embûches tendues devant lui ». Mais les sujets qui tournent autour de l’homosexualité refoulée qui rongeait l’auteur, le duvet qui naît sur les joues imberbes des étudiants, leurs jeux dangereux qui mènent au suicide ou au meurtre, sont un peu trop malsains pour moi.
En revanche, quel plaisir de se laisser emporter par une autre nouvelle majeure : « Narayama » (en japonais « Narayama bushikô ») de Shichirô Fukazawa. Bien sûr, le titre vous dit quelque chose : son adaptation cinématographique, « La ballade de Narayama » de Shohei Imamura, a été Palme d’Or à Cannes en 1983. La collection « L’imaginaire » chez Gallimard regroupe le bouquin et le DVD, mais j’écris ce billet avant de découvrir le film, pour coucher mes impressions littéraires sans biais cinématographique. Un sujet fort, qu’on ne dévoilera pas à ceux qui n’en ont pas entendu parler ; un style épuré, presqu’ascétique, ce qui va bien à la symbolique bouddhiste qui entoure l’histoire ; des personnages bouleversants de vérité et d’humanité, aussi cruelle soit elle : un court et puissant chef d’œuvre.
Les préface, notes de bas de page et postface du traducteur Bernard Franck (je me souviens avoir lu ses critiques littéraires dans le Nouvel Obs) sont du niveau du texte lui-même. Elles replacent dans son contexte l’idée force de Fukazawa : sous prétexte d’une étude sociologique hyperréaliste sur les chansons paysannes d’une contrée reculée (le titre original signifie « l’étude à propos des chansons de Narayama »), Franck rappelle que « ces traditions paraissent bien, en fin de compte, ne correspondre à rien qui soit historiquement saisissable dans le passé réel du Japon ». Une parabole sur l’homme plutôt, ou bien sur « le problème du fondement de nos propres valeurs ». Mais point de grands mots, ce qui m’avait donné l’idée de la référence au Lagarde et Michard, c’est également ce style truculent, terre-à-terre et souvent amusant, avec lequel Fukazawa invente les conversations de ses campagnards, dans un style qui rappelle les drôles et les donzelles du Dom Juan de Molière : « J’crois que Bonne-Maman a trente-trois dents. […] Hé ! C’est qu’tu dois point savoir compter plus loin que vingt-huit. Y en a sûrement davantage ! ». C’est en tout cas le choix du traducteur que d’appuyer sur ce style suranné : sa traduction datant de 1958, seulement quelques années après sa parution au Japon, on est loin du XVIIème siècle de Jean-Baptiste Poquelin. Un dernier exemple surprenant, mais finalement pas inapproprié, est de traduire le préfixe respectueux japonais « O » (comme dans « o-bento », « o-saké », etc.) par « Messire » lorsque les personnages font référence au riz blanc : la terre qu’ils cultivent est si peu fertile qu’ils ne peuvent se délecter de « Messire le riz blanc » qu’à l’occasion de la fête du village, du « Bon odori » qu’on célèbre toujours à Tokyo chaque été, et du fameux et mystérieux pèlerinage à Narayama.
Bon anniversaire à Joshua, huit ans il y a deux semaines, et à Louise, douze ans aujourd’hui !
Quand vous serez en seconde ou en première, aurez-vous droit vous aussi aux Lagarde et Michard pour bûcher vos textes de français ? Ferez-vous avec Pascal « le pari que Dieu existe » ? Etudierez-vous l’amitié entre Montaigne et La Boétie et « que philosopher, c’est apprendre à mourir » ?
Quant à moi, j’ai révisé quelques grands classiques du Lagarde et Michard nippon.
Je n’ai pas totalement été touché par la grâce censée émaner des nouvelles de Yukio Mishima, le poète des adolescents aux désirs troubles, qui se donna la mort par seppuku (hara-kiri) habillé en tenue nationaliste en 1970. Dans la collection « Folio 2€ » ont été regroupées « Ken » et « Martyre ». Le style est impérial, avec des fulgurances et des raccourcis qui forcent l’admiration : « un pigeon tâché de sang, des rayons de soleil perçant la frondaison, du sang tombé sur les joues du vainqueur, l’indigo profond de la tenue de kendo, le lys flétri, tout cela s’était en effet combiné en autant d’embûches tendues devant lui ». Mais les sujets qui tournent autour de l’homosexualité refoulée qui rongeait l’auteur, le duvet qui naît sur les joues imberbes des étudiants, leurs jeux dangereux qui mènent au suicide ou au meurtre, sont un peu trop malsains pour moi.
En revanche, quel plaisir de se laisser emporter par une autre nouvelle majeure : « Narayama » (en japonais « Narayama bushikô ») de Shichirô Fukazawa. Bien sûr, le titre vous dit quelque chose : son adaptation cinématographique, « La ballade de Narayama » de Shohei Imamura, a été Palme d’Or à Cannes en 1983. La collection « L’imaginaire » chez Gallimard regroupe le bouquin et le DVD, mais j’écris ce billet avant de découvrir le film, pour coucher mes impressions littéraires sans biais cinématographique. Un sujet fort, qu’on ne dévoilera pas à ceux qui n’en ont pas entendu parler ; un style épuré, presqu’ascétique, ce qui va bien à la symbolique bouddhiste qui entoure l’histoire ; des personnages bouleversants de vérité et d’humanité, aussi cruelle soit elle : un court et puissant chef d’œuvre.
Les préface, notes de bas de page et postface du traducteur Bernard Franck (je me souviens avoir lu ses critiques littéraires dans le Nouvel Obs) sont du niveau du texte lui-même. Elles replacent dans son contexte l’idée force de Fukazawa : sous prétexte d’une étude sociologique hyperréaliste sur les chansons paysannes d’une contrée reculée (le titre original signifie « l’étude à propos des chansons de Narayama »), Franck rappelle que « ces traditions paraissent bien, en fin de compte, ne correspondre à rien qui soit historiquement saisissable dans le passé réel du Japon ». Une parabole sur l’homme plutôt, ou bien sur « le problème du fondement de nos propres valeurs ». Mais point de grands mots, ce qui m’avait donné l’idée de la référence au Lagarde et Michard, c’est également ce style truculent, terre-à-terre et souvent amusant, avec lequel Fukazawa invente les conversations de ses campagnards, dans un style qui rappelle les drôles et les donzelles du Dom Juan de Molière : « J’crois que Bonne-Maman a trente-trois dents. […] Hé ! C’est qu’tu dois point savoir compter plus loin que vingt-huit. Y en a sûrement davantage ! ». C’est en tout cas le choix du traducteur que d’appuyer sur ce style suranné : sa traduction datant de 1958, seulement quelques années après sa parution au Japon, on est loin du XVIIème siècle de Jean-Baptiste Poquelin. Un dernier exemple surprenant, mais finalement pas inapproprié, est de traduire le préfixe respectueux japonais « O » (comme dans « o-bento », « o-saké », etc.) par « Messire » lorsque les personnages font référence au riz blanc : la terre qu’ils cultivent est si peu fertile qu’ils ne peuvent se délecter de « Messire le riz blanc » qu’à l’occasion de la fête du village, du « Bon odori » qu’on célèbre toujours à Tokyo chaque été, et du fameux et mystérieux pèlerinage à Narayama.
Libellés : Livres et films sur le Japon
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